Attention : ce récit est un spoil complet de la mythique campagne sur Azathoth…
Vous voilà prévenu.
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Larry Cleth
Le lundi 17 mai 1927, à l’aube.
Je me suis réveillé avant le soleil, avec cette sensation que quelque chose clochait, comme un article dont on sait que la dernière ligne manque. La chambre de Joseph était grande ouverte. Tout y était rangé, ordonné, impeccablement plié… sauf lui. Pas de lutte, pas de bruit, pas de trace. Juste un vide qui vous saisit au ventre. Élias m’a rejoint dans le couloir, encore marqué par les rêves, mais assez lucide pour comprendre : Joseph avait disparu. Hank Buffington, qui nous avait loué les chevaux la veille, nous a proposé de le pister dans les collines. « Si vous partez tout de suite, j’peux retrouver n’importe quel citadin perdu », qu’il a dit. Une phrase simple, mais presque héroïque dans notre situation.

Il nous a fallu deux heures et demie à grimper dans la rocaille. C’est là qu’on l’a vu. Joseph, au milieu de trois cougars qui tournaient autour de lui comme s’ils hésitaient encore à passer au repas. Il était étendu, robe de nuit froissée, teint pâle, un fin filet de sang séché à la cuisse. Inconscient. Hank a fait fuir les bêtes comme si c’était des chats errants. Élias s’est mis à genoux et l’a couvert, soigné, vérifié le pouls. Joseph a repris connaissance quelques minutes plus tard, l’air perdu, comme s’il venait de sortir d’un rêve trop grand pour lui.
Il nous a dit avoir rêvé de sa fille, Gwenie. Elle l’appelait, lui disait de venir. Et il était parti sans réfléchir, comme un somnambule obéissant à un ordre ancien. De tout le trajet, il ne se souvenait que de ça. Le reste ? Un trou noir. Une amnésie parfaite.
10h30. En route vers l’observatoire. Hank nous a laissés à l’entrée des collines, avant de retourner à Garrison. Une poignée de main franche, puis il a disparu derrière les arbres. Le chemin vers l’observatoire était long, mais au moins Joseph tenait debout.
12h00. Une cabane perdue au milieu de nulle part. Sylvia, la gardienne des lieux. Elle nous a servi une soupe de légumes chaude, en nous parlant de légendes indiennes, d’un « père fantôme » que les anciens voyaient dans les montagnes. Le genre d’histoire qui ferait sourire un citadin, mais qui, dans le Montana, vous colle un frisson dans le dos.

15h45. Observatoire de l’Académie du Mardi Soir. Dimitri Passelov nous a accueillis comme si on était les premiers humains qu’il voyait depuis des mois. Un type nerveux, brillant, les yeux d’un homme qui dort peu et pense trop. Quand on lui a annoncé la mort de Joseph Baxter, il est resté bouche ouverte, sincèrement choqué. Il était accompagné d’un type froid et barraqué, Vassily Kalyetka. L’homme de main à tout faire de Dimitri. Un homme de confiance. Mais très suspicieux. Puis la conversation s’est ouverte, les documents ont circulé, les omelettes ont sifflé dans la poêle et l’observatoire a semblé moins hostile. Ensuite, la visite des lieux : machines, lentilles, carnets de notes, photos du ciel. Les deux Russes se sont remis au travail, concentrés comme des chirurgiens. Joseph et Élias les observaient, silencieux.

Moi ? J’avais besoin d’air. Je suis allé inspecter la maison, par réflexe journalistique. Je devrais plutôt parler de fouille pas sympathique chez des gens accueillants. Que m’importe. J’ai trouvé un crucifix doré avec une pierre noire, emballé dans un tissu. Vraiment étrange. Je l’ai remis à sa place. Je suis ensuite sorti pour aller voir les chevaux. La nuit montait doucement, enveloppant tout dans cette noirceur calme des grandes collines. Élias et Joseph, eux, étaient revenus dans la maison et ils sont tombés sur le fameux De Vermis Mysteriis. Le genre de livre qui déclenche plus de cauchemars que de vérités.
Vers 23h, j’étais à l’extérieur, près des étables. C’est là que j’ai aperçu une lumière au loin. Une petite lueur qui tremblotait, comme une étoile tombée au mauvais endroit. Probablement le ranger qui pistait une bête. J’ai hésité. Longtemps. Puis j’ai décidé de ne rien faire. Certains secrets préfèrent qu’on les ignore. Les deux autres s’étaient endormis à l’intérieur. Moi, je suis resté dehors encore un moment. Le ciel était magnifique, constellé de millions de points brillants. Pour la première fois depuis Providence, j’ai senti quelque chose d’apaisant. Une minute d’équilibre fragile… avant que tout ne s’effondre de nouveau.
Au matin, la chambre de Joseph ne contenait plus qu’un silence trop parfait.
Dans les collines, son corps fut retrouvé, encerclé de fauves et d’un rêve qui l’avait entraîné.
De la cabane de Sylvia à l’observatoire, les signes anciens n’ont cessé de se révéler.
Et sous le ciel de minuit, la paix fragile du jour s’est dissoute dans une lueur que nul n’aurait dû remarquer.

Joseph T. Gordon
Mardi 18 mai.
Le matin s’est levé sur un silence étrange. Larry avait le visage de quelqu’un qui revenait d’un endroit où il n’aurait jamais dû aller. Il m’a parlé d’un rêve : une lueur verte tombant du ciel, comme une étoile malade, une image qui s’accrochait encore à l’intérieur de son crâne. Je voyais bien qu’il avait perdu quelque chose dans ce cauchemar… un éclat de lucidité, un peu de son sang-froid journalistique.
Élias et lui sont partis dès que le soleil a éclairé les rochers. Ils avaient décidé de monter jusqu’à la tour anti-incendie, pour comprendre l’origine de cette lueur. Je les ai regardés s’éloigner, deux silhouettes volontairement calmes qui tentaient de masquer une inquiétude que je lisais très bien. Je suis resté seul à l’observatoire, à feuilleter le De Vermis Mysteriis. Je n’aurais pas dû. Certaines phrases semblent courir sous la peau, d’autres vous murmurent à l’oreille. Ce n’est pas un livre qu’on lit, c’est un livre qui vous lit en retour. Quand j’ai senti mes mains trembler, je suis sorti marcher avec mon fusil, pour respirer, m’ancrer dans quelque chose de simple et concret.

J’ai fait le tour de l’observatoire, observé les instruments, vérifié les chevaux. Puis un aboiement a résonné. Pas un aboiement joyeux : un cri d’alerte. J’ai suivi le son… et j’ai aperçu Sylvia avec Jules, son chien. Je me suis glissé derrière les broussailles, mais Jules m’a repéré rapidement. Sylvia s’est retournée brusquement, un panier serré contre elle, remplis de légumes frais. Je me suis avancé les mains ouvertes et je lui ai demandé calmement où elle allait. Elle hésitait, surprise dans un moment de vérité trop nu. Les larmes ont coulé aussitôt, lourdes comme un fardeau longtemps contenu. La douceur a apaisé son souffle, calmé la tempête qu’elle portait en silence. Alors seulement, elle a parlé de ses « amis spéciaux », demandé d’être suivie discrètement et exigé une promesse de secret absolu sur tout ce qui allait être vu.
Nous avons traversé un sentier étroit jusqu’à un mur de ronces épaisses. Elle a posé le panier. C’est alors qu’une silhouette gigantesque s’est avancée : massive, couverte de fourrure, les yeux sombres et profonds. Un sasquatch. Le mot me semble dérisoire face à la présence écrasante de la créature.

Il a pris Sylvia dans ses bras, l’a serrée comme un parent reconnaissant. Puis il a reniflé l’air. Il m’a senti. La pression dans mon crâne est arrivée d’un coup, terrible, absolue. Ma vision s’est liquéfiée. Mes pensées se sont dispersées comme des feuilles mortes dans une tempête. Puis… le noir.
Je me suis réveillé avec une douleur fulgurante et Sylvia penchée sur moi, appliquant une compresse sur la bosse que la créature m’avait laissée. Elle m’a raccompagné à l’observatoire, inquiète mais étrangement calme. Avant de partir, elle m’a confié qu’elle aussi rêvait d’une météorite verte. La même que celle que Larry avait vue. Je n’ai pas su quoi répondre. Je me suis installé pour lire un moment… ou tenter d’oublier. Cela n’a servi à rien.
Le matin a porté des rêves malades et des esprits déjà fissurés.
La lumière verte tombée du ciel a laissé dans l’air une inquiétude que rien ne dissipait.
Dans les collines, les secrets de Sylvia ont ouvert la voie jusqu’à la bête des forêts.
Une certitude demeurait dans l’air tremblant du Montana, quelque chose nous observe et nous rassemble.
Elias Creepy
Mardi 18 mai. Larry et moi sommes partis dès que le jour a suffisamment creusé l’ombre des montagnes. Le chemin court vers la tour anti-incendie n’a de court que le nom : de la roche, du silence… et des traces qui auraient dû nous alerter plus tôt. Très vite, nous sommes tombés sur les carcasses. D’abord un coyote.
Puis deux lapins éventrés. Puis un cougar, la gueule figée dans un dernier rictus. Tout cela ne formait pas un hasard. C’était un message. Un avertissement, posé là par quelque chose qui ne connaît pas la pitié. Nous avons continué malgré tout. Stupides ou courageux… la frontière est mince.

La tour anti-incendie s’est dressée devant nous vers neuf heures passées. Son silence était malsain. Même les oiseaux semblaient avoir déserté les environs. J’ai vu le cheval du ranger, éventré, la tête tordue comme si quelqu’un avait voulu lui arracher un secret. À 9h45, dans la tour, nous avons trouvé le corps de Robert Marshall. Un homme solide, un professionnel. Un trou parfaitement circulaire, carbonisé, lui transperçait la poitrine. Rien de terrestre ne laisse une marque pareille. Larry a trouvé une lettre. Elle parlait de créatures tapis dans les montagnes… et le nom de Sylvia Englund y apparaissait. Ainsi donc, la vieille femme savait bien plus que ce qu’elle prétendait.

Le cylindre métallique était à moitié caché sous des débris. Un métal lisse, froid, qui ne ressemblait à rien que j’aie vu sur un champ de bataille. Larry a murmuré que ça ne venait pas de la Terre. Il avait ce ton qui ne laisse aucune place à la plaisanterie. J’ai examiné l’objet et compris qu’un mécanisme d’ouverture se cachait sous la surface. Quand je l’ai déclenché, une odeur épaisse, presque vivante, s’est échappée… un parfum de mort mêlé à un souffle d’orage.
C’est alors qu’un bruit a résonné : un choc pesant, lourd, venu du toit. Puis une ombre a glissé en bas de la tour. Pas un animal. Pas un homme. Quelque chose qui imitait l’un ou l’autre sans en être aucun. Nous avons dévalé les marches. Les chevaux étaient déjà morts. Massacrés. Alors nous avons couru. Pas par bravoure, par instinct. Celui qui fait survivre les hommes dans les tranchées et sur les routes brisées.

L’attaque du grizzli a été la dernière épreuve du retour. Un monstre enragé, les yeux fous comme si la terre elle-même l’avait retourné contre nous. Il a manqué m’ouvrir en deux d’un coup de patte. Je n’ai esquivé que par réflexe, celui que l’on gagne quand on a déjà senti la mort vous respirer dessus. Larry a tiré, j’ai tiré. Encore. Encore. Jusqu’à ce que la bête s’écroule enfin, dans un fracas lourd comme un pan de montagne qui s’effondre.

Nous sommes arrivés à l’observatoire vers 12h30. Encore vivants, contre toute logique. Le ranger, les créatures, la lueur verte… tout se dessine, mais rien ne fait encore sens. Et pourtant, en voyant Joseph sur le pas de la porte, je n’ai pas pu m’empêcher de penser : peut-être que le pire de cette journée n’est pas derrière nous.
Les carcasses alignées murmuraient un avertissement qu’aucun homme ne devrait ignorer.
Dans la tour, le corps du ranger et le métal venu d’ailleurs ont ouvert la porte à une peur sans nom.
L’ombre glissée sous les fondations du monde a marqué la fuite d’un sceau que rien n’efface..
Et dans la forêt, le grizzli fou a rappelé que la mort sait courir plus vite que le courage.
Joseph T. Gordon
Quand Larry et Elias sont revenus à l’observatoire, j’ai su avant même qu’ils parlent que quelque chose s’était brisé là-haut, dans les montagnes. Leur démarche avait cette lourdeur particulière des hommes qui reviennent d’un endroit où ils n’auraient jamais dû aller. Nous nous sommes assis, et chacun a raconté son morceau d’effroi.
Larry, étonnamment calme malgré la pâleur de son visage, a expliqué ce qu’ils avaient trouvé : les cadavres d’animaux, la tour, le ranger, ce trou carbonisé dans sa poitrine, l’ombre sur le toit… et ce cylindre étrange, que même Elias ne parvenait pas à comprendre. Sa voix restait posée, mais quelque chose tremblait derrière ses mots.

Elias restait silencieux, les yeux encore perdus dans ce qu’il avait vu. J’ai senti chez lui cette tension particulière qu’on rencontre chez les hommes de guerre lorsqu’ils comprennent que ce qu’ils affrontent n’a plus rien d’humain.
Puis ce fut mon tour. J’ai hésité. Trahir Sylvia me paraissait terrible, presque immoral. Mais garder le silence aurait été pire encore. Alors j’ai parlé. Le sasquatch, les ronces, la perte de conscience… et ce rêve partagé, cette météorite verte qui semblait relier nos esprits. Pendant que je racontais, Elias me regardait comme s’il évaluait ce qui restait de ma santé mentale.
C’est à cet instant que Dimitri s’est réveillé. Il a écouté, sans m’interrompre, puis nous a conduits dans la salle obscure où l’observatoire garde ses plaques photographiques. Il a soulevé un drap. Ce que j’ai vu n’était pas des monstres détaillés, mais des ombres capturées par accident lors de leurs observations : des silhouettes mouvantes, disproportionnées, comme suspendues dans le ciel ; des traînées lumineuses, presque des déchirures dans l’obscurité.

Le dernier cliché a figé Larry. Sa respiration s’est coupée net. L’ombre sur la photo ressemblait exactement à celle qu’il avait vue sur le toit de la tour anti-incendie. J’ai senti la peur monter dans la pièce, silencieuse mais totale. Vassily a fini par admettre qu’il avait déjà aperçu ce qu’il appelait le « Père fantôme », une forme observée dans les montagnes lors de nuits sans lune. Il n’a pas voulu en dire davantage. Et son silence valait mieux qu’un aveu. Les deux Russes, épuisés, sont retournés se coucher.

15h00. C’est à ce moment que Jules est apparu. Jules, le chien de Sylvia. Il n’était plus le compagnon placide de la ranchero. Sa fourrure était hérissée, ses yeux fous, ses aboiements rauques, presque douloureux. Il nous a fixés avec une sorte de détresse agressive, puis a tourné brusquement les talons pour disparaître. Un froid m’a traversé le dos. Si même le chien était dans cet état… alors Sylvia pouvait être en danger.
Larry a pris son arme. Elias a serré les dents, prêt à affronter ce qui viendrait. Et moi… j’ai senti pour la première fois que nous étions peut-être allés trop loin dans cette affaire, mais que reculer n’était plus possible.
Nous avons préparé nos affaires et laissé un mot aux Russes :
« Nous allons chez Sylvia. Si nous ne revenons pas, n’essayez pas de nous retrouver. »
Nous avons appris à craindre l’invisible. Mais ce jour-là, nous allions à la rencontre de ce qui nous observait depuis longtemps.
L’aventure continue… du moins, si notre santé mentale tient encore le coup… et à bientôt !
Leur retour portait le poids d’une montagne brisée et d’ombres qui refusent de mourir.
Dans les plaques de l’observatoire, les silhouettes du ciel ont murmuré une vérité trop vaste pour l’esprit.
Même le chien enragé fuyait un danger que les mots n’osaient plus nommer.
Et ce soir-là, en marchant vers Sylvia, chacun a compris que l’invisible avait déjà choisi de se montrer.

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Sources des images et photos (sauf mention) : Chaosium et Editions Sans-Détour

Une réflexion sur “L’appel de Cthulhu… histoire d’une campagne 7 : L’Observatoire”