L’appel de Cthulhu… histoire d’une campagne 5 : L’Araignée

Attention : ce récit est un spoil complet de la mythique campagne sur Azathoth…
Vous voilà prévenu.
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Larry Cleth

Le 7 mai 1927, 9h00. Café du Sanglier Fumant.
Café noir, œufs trop cuits et le brouillard du port collé à la vitre du Sanglier Fumant. On s’est retrouvés là, Joseph, Elias et moi, à recoller les morceaux d’un puzzle qui empestait la mort et les secrets. À force de tourner autour, cette affaire Baxter commençait à sentir la chair en décomposition sous un vernis de respectabilité.

Direction la maison de campagne de Silas Patterson. Une cabane perdue, l’air trop calme pour être honnête. Joseph panique un peu, il a conscience qu’on franchit la ligne, que ce qu’on fait, c’est mal. Moi, je trouve une barre à mine et je fais sauter le cadenas du garage. Oui, c’est mal. Et alors ? Ce qu’on découvre à l’intérieur, j’en rêverai encore longtemps : du sang séché, des éclats de verre, une table percée en son centre comme un autel de boucher et un couteau de chirurgie assez large pour trancher un bœuf en deux. Elias trouve un lambeau de soie bleue, d’une qualité qui ne vient pas d’un fermier. Etrange.

La maison de campagne de Silas Patterson

Elias glisse, me tombe dessus et on ressort du carnage couverts de sang séché. Bravo le détective. On entre dans la maison par la cuisine, vitre cassée, silence pesant. Joseph a disparu, la voiture n’est plus là. Elias croit qu’il nous a lâché, mais le klaxon au loin nous prouve le contraire. Ou pas. Dix minutes après, re-klaxon, comme un cri nerveux dans la brume. Quand on rejoint Joseph, il nous hurle dessus, parle de morale et de damnation. Elias le calme à sa façon : d’abord en criant, ensuite avec une gifle bien sentie. Froid de plomb sur le trajet du retour. Même ma plume ne pourrait décrire l’ambiance…

Joseph nous pose chez Braddock avec Elias. Joseph rentre chez lui. Personne chez le juge. Elias lui laisse un mot dans la boîte aux lettres. À 18h, on retrouve l’administrateur de l’université Brown de la faculté d’anthropologie, Englehardt. Grâce à Joseph et sa belle gueule d’universitaire, le type crache enfin le morceau : Patterson volait des singes pour des rituels… cannibales. J’en ai vu des horreurs dans mes papiers, mais jamais rien d’aussi grotesque. Tout se tient, et pourtant rien n’a de sens. J’y comprends rien. Ce soir, je vais enquêter au fond d’une bouteille, au moins là, les sources sont fiables. Et puis, quitte à noircir du papier, autant commencer par mon foie.

Le 7 mai, 19h15. Chez Angela Vincenzo.
Angela nous accueille comme une mère. Trop douce pour ce monde, trop confiante. Le genre qu’on blesse en s’excusant presque. On fouille, on dîne, puis on refouille, comme des rats méthodiques. Elias descend à la cave, Joseph s’émerveille devant la bibliothèque, et moi, je fouille le bureau.

Un registre de l’Académie du Mardi Soir, des lettres des Cynthia et Colin Baxter, un journal intime, et une caisse de noix de coco… remplie de noix de coco. Et d’un peu trop de toiles d’araignées pour être honnêtes. Les derniers ouvrages de Baxter parlent de rêves, d’interprétations, de portes qu’il vaut mieux ne pas ouvrir. En haut, des pyjamas de soie identiques au lambeau trouvé chez Patterson. Et cette poudre brunâtre qu’Elias identifie comme un somnifère hallucinogène, des herbes africaines, disait-il. Un billet aller simple pour les pays imaginaires… sans garantie de retour.

Elias monte au grenier. Un cri fend la nuit. Une araignée énorme lui a sauté dessus, le mord, puis disparaît, comma avalée par l’ombre. Angela lui prodigue les premiers soins et on l’emmène à l’hôpital, il est pris en charge. 21h30, je note dans mon carnet : « La vérité a des crocs. Et elle mord. »


Chez Patterson, le sang séché racontait déjà l’histoire avant moi.
Chez Angela, la douceur masquait le drame.
Sous les noix de coco et la poudre, on a trouvé des rêves empoisonnés.
Deux maisons, un même article qu’aucun journal n’oserait publier.

Joseph T. Gordon

Le 8 mai. Et soudain, c’est le drame.
Le samedi 8 mai a commencé comme un matin d’hiver, malgré le printemps. Le téléphone a sonné. Je me suis rendu à l’hôpital, le cœur lourd, l’esprit encore plein de ce que nous avions découvert la veille. Le docteur Walters m’a reçu avec un visage que j’aurais préféré ne jamais apprendre à lire.

Elias Creepy était mort. Un arrêt cardiaque, m’a-t-il dit, la voix tremblante. Trop de similitude avec la mort de Philip Baxter. Je crois que j’ai hoché la tête, comme un homme raisonnable, un professeur, un intellectuel, mais à l’intérieur, tout s’est fissuré. Je ne le connaissais pas vraiment. La veille, il m’a même frappé. Mais je l’aimais bien quand même. Destinée cruelle.

J’ai quitté l’hôpital, les jambes engourdies. Je suis passé chez Angela Vincenzo. Sa maison semblait calme, trop calme. J’ai frappé, attendu, appelé son nom. Rien. Alors j’ai couru chercher la police. Le pire, c’est qu’ils m’ont cru. Franchement, qui croirait une histoire pareille ? Il faut croire que j’ai du crédit.

Angela Vincenzo, la gouvernante

L’inspecteur Roberts et un agent m’ont accompagné pour revenir sur les lieux. Quand nous avons ouvert la porte, le monde a cessé d’être logique. Angela gisait sur dans son lit, son doux visage presque méconnaissable, envahi par des centaines de petites araignées. Elles grouillaient, s’enfonçaient dans sa chair, la dévoraient vivante, ou morte, je ne sais plus. Roberts a tourné les talons pour vomir dans le couloir. Moi, je suis resté. Pas par courage. Par incapacité à faire autrement. Et je l’ai vue. L’araignée. La mort incarnée. Je suis parti. La police s’en occupait.

Vers dix heures trente, je suis retourné à l’hôpital. Larry m’y attendait, le visage défait. Le docteur Walters nous a rejoints. Il a essayé de parler, d’expliquer, mais les mots n’avaient plus de sens. Nous avons ensuite rejoint le juge Braddock. Autour d’un déjeuner qu’aucun de nous n’a vraiment touché, il nous a confié qu’il s’occupait depuis des années des affaires de la famille Baxter. Des secrets, de l’argent, un héritage compliqué. Mais derrière ses paroles, j’ai senti autre chose : la peur. Comme s’il savait qu’il y avait des forces dont la loi ne protège pas.

L’après-midi, Larry et moi sommes allés chez Julian Baxter. De loin, on a vu la fumée. C’était la maison d’Angela qui brûlait. Les pompiers contenaient l’incendie, la police parlait d’un cas « inhabituel ». Un risque de propagation, d’épidémie. C’est le Maire de Providence qui l’a décidé. Apparemment, ils avaient fait venir des experts, même un paléontologue : « araignée préhistorique », ai-je entendu. Ces mots me hanteront longtemps.

Ils ont fini par brûler la maison…

Julian, lui, était absent, en congrès à Boston, disait-on à l’église. Nous sommes rentrés, le silence de Providence pesant sur nos épaules comme une chape d’église.

Et puis, dans la nuit, quelque chose s’est produit.

Le 9 mai. Miracle à Providence.
À 8h00 précise, le téléphone a sonné. Je me souviens du bruit métallique de la sonnerie dans ma maison, un son banal qui, ce matin-là, annonçait l’impossible. C’était la voix d’Elias Creepy. Rauque, faible… mais vivante. Il m’a parlé d’un réveil dans la morgue. Du froid, d’un drap sur son visage. De la lumière blafarde des néons et de l’odeur du formol. Il disait qu’il ne sentait plus son cœur, que tout sonnait creux, que son corps lui appartenait à peine. Il a vu un médecin, a essayé d’appeler, puis s’est évanoui. Et pourtant, il était là, au bout du fil. Je crois que j’ai ri, nerveusement. Pas par joie, mais parce que l’esprit humain refuse parfois l’évidence. L’évidence que la mort n’est pas toujours la fin.

À 9h15, j’ai rejoint Larry pour filer à l’hôpital. Elias était assis, pâle, les yeux hagards. On a parlé, longuement. Des araignées. Des morsures. De Philip Baxter, qui, selon Walters, portait les mêmes marques. Tout semblait se relier, sans que rien ne s’explique. Mais Elias se sentait bien et c’était l’essentiel.

À 13h00, nous avons rendu visite à Julian, revenu de Boston. L’homme paraissait brisé. Larry, avec sa façon d’amener les mots, a fini par faire craquer la façade. Julian a pleuré, sans retenue. Il nous a tout raconté : son frère Philip ne dormait plus depuis des semaines. Il vivait dans la terreur, murmurant des choses sur des voix dans ses rêves, des formes qui l’appelaient. Alors, Julian lui avait prescrit cette poudre brunâtre : un mélange d’herbes africaines qu’il disait sûr, pour l’aider à dormir, mais aussi, selon ses mots, pour voyager dans le pays des rêves. Le pays des rêves… cela sonnait presque poétique. Jusqu’à ce que je réalise qu’il y a peut-être des portes qu’on ne devrait jamais ouvrir, même en dormant. Un truc qu’il avait ramené d’Afrique, un remède qu’il croyait inoffensif. Et c’est là que sa voix s’est brisée davantage : il s’en voulait. Il croyait que c’était cette drogue qui avait tué son frère. Mais à présent, avec tout ce que nous savons… et cette morsure, cette araignée… je n’en suis plus si certain. Et si Philip Baxter n’était pas vraiment mort quand on l’a enterré ? Je crois que j’ai senti un frisson me parcourir.

À 14h15, nous avons convenu d’aller revoir le docteur Walters le lendemain, et de retrouver le croque-mort. Quelle journée…

Je suis rentré chez moi, encore secoué.
J’ai regardé mes livres. Mes chers livres. Et pour la première fois, ils m’ont semblé hostiles. Comme s’ils savaient déjà ce que je refusais d’admettre : la connaissance n’apporte pas la lumière, elle creuse l’obscurité.

Et moi, Joseph Theodor Gordon, homme de lettres et de raison, je sens que je commence à m’y perdre.

L’aventure continue… du moins, si notre santé mentale tient encore le coup… et à bientôt !


La mort a pris Elias avant de le rendre.
Angela, elle, n’a pas eu cette chance.
Depuis, mes certitudes s’effritent comme de vieux parchemins.
Et dans mes rêves, quelque chose appelle…

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Sources des images et photos (sauf mention) : Chaosium et Editions Sans-Détour

Une réflexion sur “L’appel de Cthulhu… histoire d’une campagne 5 : L’Araignée

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